Il est des temps propices à la guerre, et d'autres à la paix.

L’Ère des Héros et dieux avait fané depuis bien des éons. Autrefois, on chantait les premiers et on louait les seconds. La vie avançait sur le doux roulement d'une routine bien huilée : offrandes, faveur divine, fêtes, apprentissage...

En ce jour pourtant, le monde coulait dans le chaos lentement mais sûrement. Pséma tout d'abord, montait les Ordres les uns contre les autres. Après lui, les chevaliers se faisaient vengeance, au nom des rivalités de leurs dieux, au nom de leurs rivalités personnelles, au nom d'idéaux plus ou moins sincères, au nom de l'humanité.

***N'aie crainte Léonard. Tu n'auras pas à vivre dans un tel monde. Ta confiance te vaut une récompense digne de ce nom.***

La divinité laissa ses cauchemars s'éteindre au loin, déçu de voir qu'une seule personne dont il ignorait l'identité répondait à son appel -à celui du seigneur Hadès. Lydia et Kagaho, retirés au fin fond des Enfers pour parler généalogie, quand le sort du monde se jouait. Skan, à nouveau disparu, à nouveau traître. On pouvait bien parler des étoiles du Griffon et du Garuda qui se remettaient à briller, mais des Juges tout juste réincarnés, avec des hôtes jeunes et sans expérience...

Non, les Enfers déclinaient quoi qu'on pût en dire. Et avec eux le souvenir de vaillants chevaliers de toutes origines. Shion du Bélier. Mattheus d'Adamantine. Kappa du Verseau. Eren de Zeta Prime. Gilles de Montmorency-Laval de Rais. Himmel du Griffon. Arbhaal de la Wyvern. Satine de la Sirène Maléfique. Jack O'Bannon, Grand Prêtre de Poséidon. Tant d'autres encore.

Avec le retour d'Hadès, un tournant décisif se jouait dans l'histoire du monde souterrain. La renaissance d'une terre ingrate et désolée en joyau des ténèbres, ou bien son déchirement entre des charognards tous plus assoiffés de sang les uns que les autres.

Mon nom est Oneiros. Je suis l'aîné des mille fils d'Hypnos, les Songes. Je règne sur les Rêves et les espoirs, sur les cauchemars et les peurs. En tant qu'oracle, j'espérais pouvoir instiller un peu d'harmonie dans ces rangs décousus, mais cette génération n'a plus rien à offrir d'autre que le carnage et la désolation. Le jeune Hadès n'a toujours pas tiré les enseignements du passé.

Je parviens enfin à ma destination : une maigre portion de fleuve bien dissimulée parmi les fleurs du seul champ que comporte les Enfers. Le Léthé, qui a le pouvoir d'effacer la mémoire de qui s'y baigne, s'écoule paresseusement devant moi, presque en silence. Je ne pensais pas agir ainsi en revenant au XVIIIe siècle, mais force est de constater que les humains n'écoutent pas, ne voient pas et ne comprennent pas les conseils qu'on leur donne.

Silence.

"Léonard, il est temps de te réveiller."

L'instant passa, hors du temps, avant qu'enfin le jeune homme ouvrît les yeux pour la première fois depuis près de 2 ans. A sa vue se montra le fleuve, puis les fleurs autour, le ciel obscur, sans soleil... Il se raidit, sans comprendre. C'est alors qu'une sorte de fumée s'extirpa de sa poitrine pour prendre une apparence bien connue, translucide.

"As-tu bien dormi ? Non, ne réponds pas. Savoure encore un peu. Il est temps de nous quitter. J'ai aimé habiter ton corps. J'ai aimé parcourir le ciel avec toi. Tu es l'un des seuls mortels que je regretterais sincèrement en cette ère. Malgré tout, je dois quand même le faire.
-Oneiros ? De quoi parles-tu ? Sommes-nous en Enfer ? Suis-je mort ?
-Tu n'es pas mort. Je t'ai amené en Enfer vivant, pour que tu puisses accéder au seul endroit où tu seras toujours en sécurité. Tu vois cette eau limpide ? De l'autre côté se trouve Elysion, le domaine sacré des dieux infernaux, où seuls quelques élus peuvent se trouver. Je veux que tu t'y rendes.
-Mais, tu ne viens pas ?
-Je ne le puis. Avance, mon ami. Avance et ne rends pas les choses plus difficiles."

Nouveau silence. L'humain hésitait. Comment aurait-il pu en être autrement ? Alors, Oneiros s'approcha, leva lentement les bras pour entourer les épaules, puis le dos de celui qu'il affectionnait au point de l'avoir choisi pour hôte. Léonard lui rendit le geste, puis se sentit soudain tomber. Poussé en arrière. L'eau envahit son champ de vision avant qu'il ne s'en fût rendu compte. Ses parents avaient-ils ressenti la même chose en tombant de la falaise ?

Une agréable sensation de plénitude se répandit en lui. La question n'avait plus d'importance. Le passé non plus. La vie reprit ses droits et son corps demanda instinctivement de l'air, il talonna le lit de la rivière, se propulsa à la surface. Là, il vit un homme. Ou plutôt un fantôme. Il portait une étrange armure, faite d'ailes et de plaques ornementées. Ses cheveux étaient gris clair, presque sans couleur, et son regard triste. Il leva le bras et lui désigna l'autre rive. Pour une raison qui lui échappait, Léonard savait qu'il pouvait lui faire confiance, et il nagea jusqu'à la rive. L'homme lui fit signe de continuer. Il continua.

Mon nom est Oneiros. Je suis l'aîné des mille fils d'Hypnos, les Songes. Je règne sur les Rêves et les espoirs, sur les cauchemars et les peurs. Apparu à l'aube de l'humanité, je symbolise tant de choses et suis le dépositaires de tant de volontés que mon existence se résume à soutenir celles des autres. Aujourd'hui, j'ai renvoyé mon hôte, car les humains de cette ère m'ont déçu. Je vais retourner en sommeil et attendre, comme je l'ai toujours fait, qu'un avenir plus radieux se présente.
Quelque chose de chaud glisse sur ma joue. Des larmes. J'aime vraiment ce monde, mais il ne me comprend pas. Quel gâchis.